Rencontre de Lisiane et Yvonne avec Haiti

Récit de Lisiane Gobet: 28 ans, éducatrice spécialisée

Arrivée

Après un long voyage, ma grand-mère et moi sommes arrivées à l’aéroport de Port-au-Prince où nous attendaient Mady et ses amis. Ils nous ont chaleureusement reçus alors que la nuit était déjà tombée et que le monde affluait à la porte de l’aéroport. Nous nous saluons et sentons rapidement qu’il nous faut monter dans le pick-up afin de s’éloigner de toute cette agitation. Viennent alors les premières impressions : la poussière, les odeurs particulières du bitume, les maisons démolies, le manque de lumière, les bruits indescriptibles. Une fois à la guest house, nous pouvons souffler et nous poser. Ouf ! S’ensuit une longue discussion avec nos nouveaux amis Evans et Kelly qui vont nous accompagner tout au long de ce voyage. Mady, heureuse de nous retrouver, nous raconte les projets qui nous attendent.

Belle arrivée, directement au cœur d’Haïti et de ce que cela signifie.

Quotidien

Chaque matin, nous attendait le petit déjeuner. C’était un moment agréable et serein qui nous permettait de planifier notre journée. Nous pouvions, ma grand-mère et moi, échanger nos ressentis, alors que nous voyions déjà Mady affluer sous les coups de téléphone. La journée allait être remplie. Effectivement, chaque jour Mady était attendue de droite et de gauche. Nous avons eu l’occasion de découvrir son quotidien à travers les actions menées. Nous sommes donc parties distribuer de la nourriture dans un quartier précis pour des familles cibles ; nous avons rendu visite à l’orphelinat dans lequel Mady avait travaillé et avons fait connaissance des enfants ; nous sommes allées rôdées dans les rues de Port-au-Prince et avons pu nous rendre compte de l’ampleur des camps ; nous avons même au l’occasion d’entendre par hasard le nouveau Président lorsque nous sommes allées voir la place du champ de Mars ! ; nous avons fait connaissance avec les habitants de Delmas 19 (nom du quartier), en faisant nos courses, en rendant des visites, en s’arrêtant sur le bord du trottoir pour discuter avec les marchands, en rencontrant l’enseignant du quartier… . Il y a eu plein de belles choses à découvrir et surtout à vivre.

L’urgence est présente partout en tout temps. Les enfants malades sont peu souvent soignés, la visite chez le médecin est chère et peu de parents ont les moyens d’acheter les médicaments. Aussi, Mady est-elle fréquemment appelée afin d’amener un enfant chez le docteur et de passer ensuite à la pharmacie. Il y a également tous ces enfants qui ne reçoivent que quelques grains de riz à manger, les parents ne pouvant acheter davantage. Mady a pu donner les moyens à une maman du quartier de faire un dîner par jour pour tous les enfants de ce même quartier.

L’ambiance est étonnante. Comme dans un petit village, les habitants de Delmas 19 se connaissent tous. Dès qu’ils se croisent sur un trottoir, ils s’arrêtent et discutent. Dès qu’ils entendent un problème, ils proposent leur aide. Dès que nous passons à pied, les gens nous saluent et écarquillent leurs grands yeux en faisant la connaissance d’Yvonne, mère de Mady, bientôt huitante ans et pleine d’énergie. C’est très beau à voir. Ils font leur curieux, posent des questions, veulent tout savoir sur nous.

Partage familial

Le regard de chacun d’entre nous est différent. Cela paraît une évidence ! Il est donc important de pouvoir échanger les avis et les sentiments sur ce que nous vivons. C’est ce que nous avons fait maintes fois ma grand-mère, ma tante et moi. Je suis une grande voyageuse et je n’ai donc pas été bouleversée – choquée par l’endroit que je découvrais. J’ai par contre été curieuse et émerveillée par les gens, leur quotidien, leur priorité, leur amabilité, leur crainte et leur espoir. La vision et les sentiments de ma grand-maman étaient différents. Elle se heurtait à une incompréhension. Comment est-il possible qu’à notre époque il y ait encore des enfants qui souffrent à ce point, qui manque de nourriture ou de soin? Certaines situations n’étaient pas normales, encore moins permissibles. Elle a bien raison ! Mais en découvrant un pays comme Haïti, nous devons nous éloigner de nos principes, de nos privilèges, de nos préjugés. Nous devons effacer l’ardoise afin de recevoir les informations de manières justes et instantanées. La population haïtienne n’a pas la même manière de vivre, ni les mêmes moyens, elle n’a pas les mêmes préoccupations ni les mêmes priorités. Tout ceci peut paraître injuste. J’ai pu, grâce à ma grand-maman, trouver des mots sur les images vécues. Nous avons pu ensemble comprendre pourquoi leur façon de vivre est si différente de la notre.

Le projet

Nos journées et nos soirées avec Evans et sa famille se sont très vite transformés en discussions intenses sur la situation des enfants du quartier de Delmas 19 et sur les préoccupations des parents haïtiens. Mady a très vite su que ce partage pouvait nous mener tous vers un projet commun. Devant l’enthousiasme d’Evans, nous avons petit à petit parlé d’un centre d’accueil pour enfants. Que peut-on faire pour les enfants non scolarisés qui trainent dans les rues dans l’espoir de trouver quelque chose ? Que peut-on offrir aux familles qui n’arrivent pas à suivre l’éducation de leur enfant, devant travailler sur les marchés toute la journée ? Que peut-on faire pour ces enfants sous-stimulés, engendrant des problématiques développementales ? Ces questions nous ont amenées à réfléchir sur les besoins des enfants et de leur famille. Progressivement, nous avons parlé de pouvoir donner à manger 1x par jour aux enfants du quartier ; nous avons parlé de les sensibiliser à certains métiers ou à certains comportements à risque ou encore à certaines actions sur l’hygiène ; nous avons parlé d’offrir des activités aux enfants non scolarisés leur permettant de développer la lecture, l’écriture, la sériation, la discrimination, l’intérêt, la motricité, la logique et tant d’autres choses qui leur permettent par la suite de penser par eux-mêmes et de grandir avec des outils.

Avant que nous quittions Haïti, Evans nous a donné un dossier béton qui retrace toutes ces questions et toutes nos idées émergentes, afin de les exposer en Suisse. Nous avons, par la suite, transmis ce projet au comité suisse qui a très vite été enchanté par cette démarche. Ainsi est né le projet d’un centre d’accueil de jour pour les enfants de Delmas 19. A nous tous de poursuivre cette excellente initiative….

Yvonne Bovigny: 79 ans, retraité

Novembre 2011, accompagnée de ma petite fille Lisiane, j’ai eu l’immense plaisir de partir faire un voyage en Haïti. J’avais envie d’aller retrouver Mady et comprendre ce qui l’attirait là-bas et pourquoi cela lui tenait tellement à cœur.

Tout le monde est très chaleureux. Ce qui frappe le plus, c’est toujours leur sourire, ils sont pleins d’espoir, même s’ils n’ont pas grand-chose et que la part vive sous tente entassés les uns aux autres. Il n’est pas difficile de se rendre compte de tous les besoins qu’ils ont, nourriture, médicament, pouvoirs envoyer leurs enfants à l’école, et surtout savoir qu’ils ne sont pas abandonnées à leur sort.

Les petits bouts de choux en orphelinat, « beaucoup d’handicapés », ont tellement besoin de câlins qu’ils ne voulaient plus nous laisser repartir.

A part la misère et la poussière de la ville qui gentiment se reconstruit, Haïti est un pays magnifique qui mérite qu’il y ait plus de tourisme pour les aider et que le travail reprenne.

Tout cela m’a fait beaucoup réfléchir et même en rêver la nuit. Il faut le voir pour y croire. Et mon souhait le plus cher est de pouvoir y retourner, si Dieu me prêt vie et santé.

Yvonne